Brume dans le vignoble des vins liquoreux de Bordeaux ©JBNadeau

Les Fêtes sont passées, il est temps de penser aux vins blancs doux et fruités de Bordeaux !

Oui, nous sommes opposés à l’accord, encore tenace, qui associe foie gras et vin liquoreux. Si nous ne nions en aucun cas l’intérêt des notes aromatiques de ces vins pour les marier avec un beau foie gras, nous ne pouvons apporter notre soutien au fait d’ajouter beaucoup de sucre à beaucoup de gras…

C’est la raison pour laquelle, après être allés faire un tour entre Garonne et Ciron à l’heure de vendanges, nous avons attendu ce début d’année pour vous parler de ces vins incroyables, tant dans le travail qu’ils nécessitent que dans leurs qualités organoleptiques.

Produire de tels vins n’est pas ce qu’il y a de plus simple en effet. Au delà d’être sur un bon terroir, le travail à la vigne demande ici une maîtrise et une audace absolue.

Le vigneron va devoir composer avec son sol, ses cépages (le Sémillon pour l’onctuosité et la robe dorée, le Sauvignon pour la structure et la touche fraîcheur et la Muscadelle pour son parfum muscaté), mais surtout avec le Botrytis cinerea.

Botrytis cinerea, ce magicien

C’est en effet ce champignon microscopique qui va tenir le premier rôle dans le long process de création de la palette aromatique exceptionnelle des blancs doux et fruités de Bordeaux.

Celui qui n’apparait sur la peau des grains de raisin que lorsque se combinent les brumes matinales et les belles journées ensoleillées de l’arrière saison va provoquer la diminution du volume de jus dans la baie (jusqu’à 50%) et apporter ainsi une concentration du sucre et des arômes.

Bien sûr notre cher Botrytis cinerea ne va pas toucher les baies de manière homogène et donc coloniser les grappes petit à petit, sur une assez longue période. Qui plus est il doit absolument toucher une grappe arrivée à maturité.

Pour la petite histoire le Sémillon, dominant sur la rive droite, prend plus facilement la pourriture noble que le Sauvignon Blanc qui est un cépage plus précoce mais aussi plus acide. On note d’ailleurs une semaine d’écart entre les deux rives en ce qui concerne les vendanges.

Lorsque le Botrytis arrive sur la baie, il lui faut une semaine pour la coloniser totalement et 3 semaines pour que le « pourri plein », attendu pour vendanger, soit établi !

Mais si l’on recherche la pourriture noble, il faut aussi se méfier comme de la peste de la pourriture acide. Baptisée « escarbouille » ou « bouillerotte » elle résulte de la piqure de la baie par la drosophile (mouche de vinaigre) quand elle se nourrit. Des grains contaminés sont de vrais réservoirs à vinaigre et peuvent largement compromettre qualitativement une vendange.

Autre risque, attendre trop longtemps, subir une arrière saison trop chaude et sèche, et être confronté au passerillage du raisin. Une « dissection » qui provoquera une baisse de l’acidité et apportera aussi des notes de truffe.

Patience et attention sont plus que nécessaire… Ce qui va demander toujours plus de travail aux vignerons qui doivent non seulement vendanger à la main, mais aussi en plusieurs fois une même parcelle, dans le but de ne sélectionner que les grappes les mieux botrytisées, tri indispensable à la réussite du futur vin.

Des vendanges minutieuses et longues

Résultat, des vendanges réparties autour de 17 jours et échelonnées sur environ 9 semaines ! Les ramassages des blancs secs de Bordeaux étant achevés quant à eux environ 3 semaines avant les liquoreux. Et au final, pour ces derniers, des rendements très faibles de 10 à 35hl par hectare.

C’est ainsi que l’on travaille dans 7 Appellations d’origine protégée que compte Bordeaux.

 La plus connue des appellations est bien entendu Sauternes. Ses vins sont des liquoreux. Les vignes se situent sur la rive gauche de la Garonne, à une quarantaine de kilomètres au sud de Bordeaux, sur les communes de Sauternes, Barsac, Preignac, Fargues et Bommes. De longue garde ils offrent une palette aromatique très riche et complexe. L’appelation compte de nombreux crus classés depuis 1855 dont le fameux Château Yquem, en 1er Cru Supérieur.

Liquoreux également, les vins de l’appellation Barsac sont produits sur la commune du même nom. De grande garde, on les reconnait à leur belle vivacité qui leur offre une certaine sensualité.

Sur l’autre rive, juste en face, le village de Loupiac a donné sont nom à cette appellation qui offre des vins liquoreux à la fois élégants et aux jolies notes épicées. Des vins qu’une belle garde va rendre toujours plus complexes et raffinés.

Accolée à la précédente, l’appellation Sainte-Croix du Mont se distingue avec des liquoreux presque croquants. Produits sur la commune du même nom on les apprécie dès leur plus jeune âge ou après quelques années de garde.

L’AOP Graves Supérieures, sur la rive gauche de la Garonne, offre des vins moelleux et parfois des liquoreux aux notes miellées et de fruits secs.

Enfin l’AOP Cérons, confidentielle avec ses 23 hectares de vignobles et 14 producteurs sur la rive gauche au sud de Barsac, propose des vins liquoreux. Des cuvées à l’aromatique complexe et aux jolies notes de fruits.

Trois autres appellations bordelaises proposent des vins « doux », mais leurs vendanges peuvent être mécaniques et ne se font pas en tries successives.

C’est le cas de l’AOP Bordeaux Supérieur, qui concerne quant à elle l’ensemble du territoire de la Gironde, avec des vins moelleux, sur le fruit et la fraicheur.

L’AOP Premières Côtes de Bordeaux propose également des vins moelleux et parfois des liquoreux, issus des coteaux de la rive droite de la Garonne. Avec des dominantes florales et des notes de fruits jaunes, ils sont généralement reconnus pour leur fraîcheur.

De ce même côté du fleuve on trouve l’AOP Côtes de Bordeaux Saint-Macaire dont les vins moelleux et parfois liquoreux sont produits sur 10 communes autour de Saint-Macaire. Des vins à l’aromatique assez marquée, avec une dominante de notes miellées.

A la rencontre des vignerons et de leurs vins

Nous sommes allés à la rencontre de vignerons issus de différentes appellations. A commencer par Sainte-Croix du Mont, au domaine Tinon qui propose ses vins sous les marques Château La Grave et Château Grand Peyrot.

Domaine familial depuis 1929, sa vingtaine d’hectares de vignes sur des sols de graves argileuses et argilo-calcaires, sur les hauteurs de Sainte Croix du Mont, accueillent les cépages Sémillon (95%) et Sauvignon.

Virginie Tinon, 4eme génération et actuelle propriétaire, y produit en agriculture raisonnée des vins liquoreux élégants à la signature de leur terroir.

Le Château La Grave profite du sol qui lui a donné son nom pour offrir un joli fruit mais aussi une belle fraicheur avec jolie acidité. La cuvée Sentier d’Automne se distingue quant-à elle par son passage en fût de chêne pour une jolie structure et une belle complexité aromatique.

Le Château Grand Peyrot profite quant à lui des terres argileuses et de ses fameux fossiles d’huitres pour offrir un vin ample et fruité équilibré par une jolie fraicheur.

En Cadillac, nous sommes allés au Château Dauphine Rondillon, seule propriété aujourd’hui en HVE niveau 3 (Haute Valeur Environnementale) sur l’appellation.

Au sein de la même famille depuis 8 générations le domaine, qui bénéficie de l’un des plus beau terroir de Loupiac, en est également le château historique du vignoble.

Les 9 hectares sont planté en Sémillon, Sauvignon et Muscadelle. Chez les Darriet (frères et soeurs à la tête des vignobles du même nom et propriétaires de Dauphine Rondillon notamment) on rappelle que la « vinification se fait au sécateur ! »

En effet au-delà des vendanges en tries successives, pour la vinification Les grappes sont ensuite pressées entières sans foulage. Le jus est débourbé avant d’être placé en barriques où la fermentation se fait lentement avec les levures indigènes, jusqu’à l’arrêt naturel. Le vin est ensuite soutiré, muté puis replacé en fût pour son élevage.

Un procédé qui permet de produire des vins liquoreux en AOP Loupiac dont la palette aromatique est très large, complexe et dont la garde est exceptionnelle. Certains ont plus de 70 ans et sont toujours vaillants !

En Cadillac c’est le Château de Birot qui nous a été présenté. La très jolie demeure du XVIIème siècle située à Béguey possède une trentaine d’hectares de vigne dont 2 dédiés aux vins liquoreux.

Et c’est au cours d’un diner que nous avons pu découvrir ces cuvées, pour accompagner des plats signés de la Chef Junko Sakurai, japonaise aujourd’hui installée à Bordeaux.

L’occasion de voir à quel point les notes épicées des vins blancs doux de Bordeaux peuvent aisément se marier avec la cuisine japonaise (jaune d’oeuf au Miso, Tataki de saumon, Sangayaki de maquereaux ou bien encore Daurade sauce Umeboshi), et même plus largement asiatique et exotique.

Le domaine et les vins du Château de Birot sont toujours l’affaire d’Arthur Fournier, l’un des enfants de la famille d’Eric Fournier et Hélène Castela propriétaire avant le rachat en 2014 par New Century Tourism Group, propriété du milliardaire Hongkongais spécialiste de l’hôtellerie de luxe.

A ce propos sachez que la demeure organise régulièrement des dégustations, des dîners en accords mets/vins ainsi que des visites du vignoble. De même ses 5 grandes chambres et une suite, peuvent être louées, en intégralité, sur AirbnB !

L’art de l’assemblage et des accords mets/vins inattendus

Lorsque l’on se fend de découvrir les liquoreux de Bordeaux, un passage par l’appellation Sauternes est inévitable ! C’est pourquoi nous nous sommes arrêtés dans deux de ces maisons.

La première, la Château Rayne Vigneau sur la commune de Bommes, avec plus de 80 hectares sur les hauteurs du sauterais, n’est autre qu’un Premier Grand Cru classé en 1855. Aujourd’hui propriété du millionaire franco-américain Derek Rémy Smith, le domaine bénéficie du terroir aux sols aux sols gravelo-sableux ainsi qu’argileux.

Un trésor inestimable que Vincent Labergère, Directeur du Château, nous a fait découvrir lors d’un atelier d’assemblage. Un art pratiqué par Rayne Vigneau afin d’offrir des vins à la superbe palette aromatique et qui plus est d’un équilibre et d’une fraicheur exemplaires.

Certifié Best of Tourism, le domaine accueille pour des visites oenotouristiques mais aussi pour ce fameux atelier d’assemblage que nous ne pouvons que conseiller. Il permet de comprendre à quel point le vin nait d’abord dans la vigne et le savoir et le travail rigoureux que demande le vin liquoreux de Bordeaux.

Au Château Haut Bergeron point de millions, mais une histoire de famille puisque les frères Patrick et Hervé Lamothe ne sont autres que la neuvième génération à la tête du domaine. Qui fêtera d’ailleurs ses 200 printemps l’an prochain !

Celui-ci compte une petite cinquantaine d’hectares avec 35 en appellation Sauternes dont une petite parcelle de 60 ares autrefois propriété d’un certain Yquem…

La découverte de leurs vins s’est faite au cours d’un déjeuner élaboré par le Chef Olivier Straheli. L’occasion d’associer avec bonheur des huitres du Bassin d’Arcachon au poivre Timur avec un Château La Fleur des Pins 2014 (Graves Supérieures) également propriété de la famille. Un blanc ample à l’aromatique bien marquée et dont la note minérale en finale redynamise idéalement pour l’accord.

Le coquelet à la peau croustillante s’est imposé quant à lui comme un clin d’oeil à la tradition locale du déjeuner dominical et familial autour d’un bon poulet grillé accompagné de son liquoreux. Ici le Château Haut-Bergeron 2015 s’est parfaitement accordé à la volaille servie avec des patates douces cuites en papillotes au gingembre.

Autre grande appellation, Barsac a été dignement représenté par Romain Garcia, à la tête du Château de Rolland.

Le domaine est situé en bordure du fameux Ciron, dont les eaux langoureuses favorisent les sublimes brumes matinales d’automne et par là même le développement du Botrytis cinerea.

Avec la moitié de sa trentaine d’hectares en liquoreux le Château de Rolland propose des vins très complexes, sur de jolies notes épicées et fruitées, à la finale bien longue. Des vins supportant aussi une bien belle garde, le superbe 1995 aux notes de fruits secs, dignes des plus beaux cognacs ou armagnacs, avec encore de la fraicheur en fut la preuve !

Découvrir le terroir et les hommes pour apprécier pleinement le vin

Cette promenade le long des deux rives de la Garonne nous offre de belles perspectives de beaux moments gastronomiques avec les vins blancs doux de Bordeaux.

Aujourd’hui les vignerons travaillent leurs vins afin de leur apporter structure et fraicheur en plus de leur formidable palette aromatique.

Nous avons dégusté des cuvées à plus de 160g de sucre résiduel sans que cela nous empâte la bouche, nous avons fait des accords audacieux mais aussi très simples qui nous ont ravis les papilles.

Alors surtout ne vous contentez pas de savourer ces vins avec un foie gras au moment des Fêtes. Servez les sur des fromages (les pâtes persillées leur vont à merveille), avec un bon poulet fermier grillé, de la cuisine asiatique et même des huitres ou des coquilles St. Jacques !

Et ne croyez pas que le bon est nécessairement cher. Nous avons dégusté de bien jolis vins proposé dans le commerce à partir de 10 euros. Ce qui au regard du travail demandé semble bien dérisoire.

Enfin, nous invitons vivement à rendre visite à ces vignerons qui ne manqueront pas de partager autour de leurs vins, car il n’y a rien de mieux que de découvrir le terroir et les hommes pour apprécier pleinement le vin.

Pour retrouver plus d’informations sur les domaines cités, pour connaitre leurs offres oenotouristiques, rendez vous sur le site des Sweet Bordeaux.


En images, à la découverte des vins doux et fruités de Bordeaux

Vendanges des vins doux de Bordeaux

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